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la fin, car il croit devoir à son peuple et se devoir à lui-même une sévérité implacable, est depuis long temps accordée au coupable par le Roi des rois ; les vertus presque surnaturelles d’une épouse peuvent apaiser la colère divine, elles n’ont pu désarmer la justice humaine. C’est que la toute-puissance de Dieu est une réalité, tandis que celle de l’Empereur de Russie n’est qu’une fiction.

Il y a longtemps qu’il aurait pardonné s’il était aussi grand qu’il le paraît ; mais dans l’obligation où il est de jouer un rôle, la clémence, outre qu’elle répugne à son naturel, lui semble une faiblesse par laquelle le Roi manquerait à la royauté ; habitué qu’il est à mesurer sa force à la peur qu’il inspire, il regarderait la pitié comme une infidélité à son code de morale politique.

Quant à moi qui ne juge du pouvoir d’un homme sur les autres que par celui que je lui vois exercer sur lui-même, je ne crois son autorité assurée que lors qu’il a su pardonner ; l’Empereur Nicolas n’a osé que punir. C’est que l’Empereur Nicolas, qui se connaît en flatterie, puisqu’il est flatté toute sa vie par soixante millions d’hommes, lesquels s’évertuent à lui persuader qu’il est au-dessus de l’humanité, croit devoir rendre à son tour quelques grains d’encens à la foule dont il est adoré, et cet encens empoisonné inspire la cruauté. Le pardon serait une leçon dange-