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choses de première nécessité, nous dit-on : droit illusoire pour qui n’a aucun moyen de le faire valoir.

Il est, dit-on encore, dans l’intérêt des seigneurs de subvenir aux besoins de leurs paysans. Mais tout homme entend-il toujours bien ses intérêts ? Chez nous celui qui se conduit déraisonnablement perd sa fortune, voilà tout ; or, comme ici la fortune d’un homme c’est la vie d’une foule d’hommes, celui qui régit mal ses biens fait mourir de faim des villages entiers. Le gouvernement, quand il voit des excès trop criants, et Dieu sait combien de temps il lui faut pour les apercevoir, met, pour guérir le mal, le mauvais seigneur en tutelle ; mais cette mesure toujours tardive ne ressuscite pas les morts. Vous figurez-vous la masse de souffrances et d’iniquités inconnues qui doit être produite par de telles meurs, sous une telle constitution et sous un pareil climat ? Il est difficile de respirer librement en Russie lorsqu’on songe à tant de douleurs.

Les Russes sont égaux, non devant les lois qui sont nulles, mais devant la fantaisie du souverain qui ne peut pas tout, quoi qu’on en dise ; c’est-à-dire que sur soixante millions d’hommes, il y aura un homme en dix ans choisi pour servir à prouver que cette égalité subsiste. Mais le souverain n’osant pas souvent user d’une marotte pour sceptre, succombe lui-même sous le faix du pouvoir absolu : homme borné, il se laisse dominer par des distances de lieux, par des igno-