Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’insurrection passe pour du dévouement. Un Lovelace, un don Juan et pis encore, s’il est possible, seront érigés en réformateurs, uniquement parce qu’ils auront encouru des châtiments légaux ; tant la considération s’attache au délit quand la justice abuse !… Alors le blâme ne tombe que sur le juge. Les excès du commandement sont si énormes que toute espèce d’obéissance est en exécration, et qu’on avoue la haine des bonnes mœurs comme on dirait ailleurs : « Je déteste le gouvernement arbitraire. »

J’avais apporté en Russie un préjugé que je n’ai plus : je croyais, avec beaucoup de bons esprits, que l’autocratie tirait sa principale force de l’égalité qu’elle fait régner au-dessous d’elle ; mais cette égalité est une illusion ; je me disais et l’on me disait : quand un seul homme peut tout, les autres hommes sont tous égaux, c’est-à-dire également nuls ; ce n’est pas un bonheur, mais c’est une consolation. Cet argument était trop logique pour n’être pas réfuté par le fait. Il n’y a pas de pouvoir absolu en ce monde ; mais il y a des pouvoirs arbitraires et capricieux, et, quelque abusifs que puissent devenir de tels pouvoirs, ils ne sont jamais assez pesants pour établir l’égalité parfaite parmi leurs sujets.

L’Empereur de Russie peut tout. Mais si cette faculté du souverain contribue à la patience de quelques grands seigneurs dont elle apaise l’envie, croyez