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acclamations générales ; on demande de l’encre et du papier, et, séance tenante, le jeune fou, avec une dignité magistrale, rédige en très-bon français un manifeste trop scandaleusement burlesque pour que je me permette de vous le transcrire ici mot à mot. J’en possède une copie ; mais c’est bien assez, si ce n’est trop, pour vous et pour moi, de l’analyse que vous venez de lire.

La communication de cette pièce d’éloquence fut ordonnée, et elle eut lieu, séance tenante. L’auteur en fit la lecture à trois reprises et à haute et intelligible voix, en présence de toute l’assemblée, non sans recevoir les marques d’approbation les plus flatteuses.

Voilà ce qui s’est passé, ce que j’ai vu et entendu hier dans l’auberge de***, l’une des plus achalandées de Moscou. C’était le lendemain de l’agréable dîner que j’avais fait au joli pavillon de***. Vous le voyez, l’uniformité a beau être une loi de l’État, la nature vit de variété et défend ses droits à tout prix.

Pensez, je vous prie, que je vous épargne bien des détails, et que j’adoucis beaucoup ceux que je ne vous épargne point. Si j’étais plus vrai, on ne me lirait pas ; Montaigne, Rabelais, Shakespeare et tant d’autres grands peintres châtieraient leur style s’ils écrivaient pour notre siècle ; à plus forte raison faut-il que ceux qui n’ont pas les mêmes droits à l’indépendance surveillent leurs expressions.