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Le prince avait une femme dont la famille tient à ce qu’il y a de plus considérable dans le pays ; on ne put jamais persuader à la princesse de ne pas suivre son mari dans le tombeau. « C’est mon devoir, disait-elle, je le remplirai ; nulle puissance humaine n’a le droit de séparer une femme de son mari ; je veux partager le sort du mien. » Cette noble épouse obtint la grâce d’être enterrée vivante avec son époux. Ce qui m’étonne depuis que je vois la Russie, et que j’entrevois l’esprit qui préside à ce gouvernement, c’est que, par un reste de vergogne, on ait cru devoir respecter cet acte de dévouement pendant quatorze années. Qu’on favorise l’héroïsme patriotique, c’est tout simple, on en profite ; mais tolérer une vertu sublime qui ne s’accorde pas avec les vues politiques du souverain, c’est un oubli qu’on a dû se reprocher. On aura craint les amis des Troubetzkoï : une aristocratie, quelque énervée qu’elle soit, conserve toujours une ombre d’indépendance, et cette ombre suffit pour offusquer le despotisme. Les contrastes abondent dans cette société terrible : beaucoup d’hommes y parlent entre eux aussi librement que s’ils vivaient en France : cette liberté secrète les console de l’esclavage public qui fait la honte et le malheur de leur pays.

Donc dans la crainte d’exaspérer des familles prépondérantes, on aura cédé à je ne sais quel genre de