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mœurs qui ne ressemblent à rien de ce que vous avez jamais lu, même en France, où l’on écrit et décrit tout ; mais derrière vous je vois le public, et cette complication m’arrête : vous vous figurerez donc ce que je ne vous dis pas, ou, pour parler plus juste, vous ne vous le figurerez jamais. Les excès du despotisme qui, seuls, peuvent donner lieu à l’anarchie morale que je vois régner ici, ne vous étant connus que par ouï-dire, les conséquences vous en paraîtraient incroyables.

Où la liberté légale manque, la liberté illégitime ne manque jamais ; où l’usage est interdit, l’abus s’introduit ; déniez le droit, vous suscitez la fraude ; refusez la justice, vous ouvrez la porte au crime. Il en est de certaines constitutions politiques et de certaines sévérités sociales comme de la censure servie par des douaniers, lesquels ne laissent passer que les livres pernicieux parce qu’on ne se donne pas la peine de les tromper pour les écrits inoffensifs.

Il suit de là que Moscou est la ville de l’Europe où le mauvais sujet du grand monde a le plus ses coudées franches. Le gouvernement de ce pays est trop éclairé pour ne pas savoir que, sous le pouvoir absolu, il faut que la révolte éclate quelque part ; et il l’aime mieux dans les mœurs que dans la politique. Voilà le secret de la licence des uns et de la tolérance des autres. Néanmoins la corruption des mœurs a ici