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qu’ailleurs, au contraire, elles y sont plus rares, grâce à l’apathie du grand nombre. Les Russes n’ont pas toutes les facultés qui répondent à toutes leurs ambitions ; l’exagération est un symptôme de faiblesse.

Nonobstant les contrastes que je viens de vous indiquer, tous se ressemblent sous un rapport : tous sont légers ; parmi ces hommes du moment, l’oubli fait chaque matin avorter au réveil quelques-uns des projets du soir. On dirait que chez eux le cœur est l’empire du hasard ; rien ne tient contre leur facilité à tout adopter comme à tout abandonner. Ce sont des reflets ; ils rêvent et font rêver : ils ne naissent pas, ils apparaissent ; ils vivent et meurent sans avoir aperçu le côté sérieux de l’existence. Ni le bien ni le mal, rien chez eux n’a de réalité ; ils peuvent pleurer, ils ne peuvent pas être malheureux. Palais, montagnes, géants, sylphes, passions, solitude, foule brillante, bonheur suprême, douleur sans bornes : un quart d’heure de conversation avec eux vous fait passer devant les yeux de l’esprit tout un univers. Leur regard prompt et dédaigneux parcourt sans y rien admirer les produits de l’intelligence humaine pendant des siècles ; ils pensent se mettre au-dessus de tout, parce qu’ils méprisent tout ; leurs éloges sont des insultes : ils louent en envieux, ils se prosternent, mais toujours à regret, devant ce qu’ils croient les