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Vous ne sauriez vous représenter la vie de plusieurs des jeunes gens les plus distingués de Moscou. Ces hommes qui portent des noms et appartiennent à des familles connues dans l’Europe entière, se perdent dans des excès inqualifiables ; on les voit hésiter jusqu’à la mort entre le sérail de Constantinople et la halle de Paris.

On ne conçoit pas qu’ils résistent six mois au régime qu’ils adoptent pour toute la vie, et soutiennent avec une constance qui serait digne du ciel, si elle s’appliquait à la vertu. Ce sont des tempéraments faits exprès pour l’enfer anticipé : c’est ainsi que je qualifie la vie d’un débauché de profession à Moscou.

Au physique le climat, au moral le gouvernement de ce pays dévorent en germe ce qui est faible, tout ce qui n’est pas robuste ou stupide succombe en naissant ; il ne reste debout que les brutes et que les natures fortes dans le bien comme dans le mal. La Russie est la patrie des passions effrénées ou des caractères débiles, des révoltés ou des automates, des conspirateurs ou des machines ; ici point d’intermédiaire entre le tyran et l’esclave, entre le fou et l’animal ; le juste milieu y est inconnu, la nature n’en veut pas ; l’excès du froid comme celui du chaud pousse l’homme dans les extrêmes. Ce n’est pas à dire que les âmes fortes soient moins rares en Russie