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imaginez être pour eux tout ce qu’ils sont pour vous, c’est là leur triomphe. Le temps, le monde, n’existent plus ; les engagements, les affaires, les ennuis, les plaisirs, sont oubliés, les devoirs de société abolis ; un seul intérêt subsiste, celui du moment ; une seule personne survit, la personne présente, qui est toujours la personne aimée. Le besoin de plaire poussé à cet excès réussit infailliblement : c’est le sublime du bon goût, c’est l’élégance la plus raffinée : et tout cela naturel comme l’instinct : cette amabilité suprême n’est point fausseté, c’est un talent qui ne demande qu’à s’exercer ; pour prolonger votre illusion, il suffirait peut-être de ne pas partir ; mais vous partez, tout est évanoui, excepté le souvenir que vous emportez. Partez, partez : c’est encore le plus sûr. Les Russes sont les premiers comédiens du monde ; pour faire effet, ils n’ont pas besoin du prestige de la scène.

Tous les voyageurs leur ont reproché leur versatilité ; ce reproche n’est que trop motivé : on se sent oublié en leur disant adieu ; j’attribue ce tort à la légèreté du caractère, à l’inconstance du cœur, mais aussi au manque d’instruction solide. Ils aiment qu’on les quitte parce qu’ils craindraient de se laisser pénétrer en se laissant approcher un peu longtemps de suite : de là l’engouement et l’indifférence qui se succèdent si rapidement chez eux. Cette