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ce prince sait et fait ce qu’il faut pour être obéi ; mais en politique je n’admire pas le nécessaire ; c’est l’école des nations que je demande aux gouvernements. Ici la discipline est le but, ailleurs elle n’est que le moyen. Est-il pardonnable à un prince de ne pas suivre les bonnes inspirations de son cœur, parce qu’il croirait dangereux de manifester des sentiments trop supérieurs à ceux de son peuple ? À mes yeux, la pire des faiblesses c’est celle qui rend impitoyable. Rougir de la magnanimité, c’est s’avouer indigne de la puissance suprême.

Les peuples ont besoin qu’on leur rappelle incessamment ce qui vaut mieux que le monde ; comment leur faire croire en Dieu, si ce n’est par le pardon ? La prudence ne devient une vertu qu’autant qu’elle n’en exclut pas une plus haute. Si l’Empereur n’a pas dans le cœur plus de clémence qu’il n’en fait paraître dans sa politique, je plains la Russie ; et si ses sentiments sont supérieurs à ses actes, je plains l’Empereur.

Les Russes, lorsqu’ils sont aimables, ont dans les manières une séduction qu’on subit en dépit de toute prévention, d’abord sans la remarquer, plus tard sans pouvoir ni vouloir s’y soustraire ; définir une telle influence, ce serait expliquer l’imagination, régulariser le charme ; c’est un attrait impérieux, quoique secret, une puissance souveraine qui tient