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On y est servi par des hommes vêtus d’une chemise blanche, laquelle est liée au-dessus des reins, et retombe en guise de tunique ; ou, pour parler moins noblement, de blouse sur de larges pantalons également blancs. Ces garçons de café ont les cheveux longs et lisses, comme tous les hommes du peuple en Russie, et leur ajustement les fait ressembler aux théophilanthropes de la République française, ou à des prêtres d’opéra du temps où le paganisme était à la mode au théâtre. Ils vous servent en silence du thé excellent, et tel qu’on n’en trouve en aucun autre pays, du café, des liqueurs ; mais ce service se fait avec une solennité et un mystère bien différents de la bruyante gaîté qui règne dans les cafés de Paris. En Russie tout plaisir populaire est mélancolique, la joie y devient un privilége ; aussi la trouvé-je presque toujours outrée, affectée ou grimaçante, et pire que la tristesse.

En Russie, un homme qui rit est un comédien, un flatteur ou un ivrogne.

Ceci me rappelle le temps où les serfs russes croyaient, dans leur naïve abjection, que le ciel n’était fait que pour leurs maîtres : terrible humilité du malheur ! Vous voyez comment l’Église grecque enseigne le christianisme au peuple.