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j’écoute sans les comprendre les lamentations d’un Jérémie ignoré ; le despotisme doit enfanter ses prophètes : l’avenir est le paradis des esclaves et l’enfer des tyrans ! Quelques notes d’un chant douloureux, des regards obliques, fourbes, furtifs, rusés, me font interpréter la pensée qui germe dans le cœur de ce peuple, mais le temps et la jeunesse, qui, bien qu’on la calomnie, est plus favorable à l’étude que ne l’est l’âge mûr, pourraient seuls m’enseigner nettement tous les mystères de cette poésie de la douleur.

À défaut de documents positifs je m’amuse au lieu de m’instruire ; la physionomie du peuple, son costume moitié oriental, moitié finlandais, contribuent incessamment à divertir le voyageur ; je m’applaudis d’être venu à cette fête si peu gaie, mais si différente de tout ce que j’ai vu ailleurs.

Les Cosaques se trouvaient mêlés en grand nombre parmi les promeneurs et les buveurs qui remplissaient la place. Ils formaient des groupes silencieux autour de quelques chanteurs dont les voix perçantes psalmodiaient des paroles mélancoliques sur une mélodie très-douce, quoique le rhythme en soit fortement marqué. Cet air est le chant national des Cosaques du Don. Il a quelque analogie avec la vieille mélodie des Folies d’Espagne ; mais il est plus triste ; c’est doux et pénétrant comme la tenue du rossignol quand on l’entend de loin, la nuit, au fond des bois. Quel-