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Le plus grand des plaisirs de ce peuple, c’est l’ivresse, autrement dit, l’oubli. Pauvres gens ! il leur faut rêver pour être heureux ; mais ce qui prouve l’humeur débonnaire des Russes, c’est que lorsque des mougiks se grisent, ces hommes, tout abrutis qu’ils sont, s’attendrissent au lieu de se battre et de s’entretuer selon l’usage des ivrognes de nos pays ; ils pleurent et s’embrassent : intéressante et curieuse nation !… il serait doux de la rendre heureuse. Mais la tâche est rude, pour ne pas dire impossible à remplir. Trouvez-moi le moyen de satisfaire les vagues désirs d’un géant, jeune, paresseux, ignorant, ambitieux et garotté au point de ne pouvoir bouger ni des pieds ni des mains !… Jamais je ne m’attendris sur le sort du peuple de ce pays sans plaindre également l’homme tout-puissant qui le gouverne.

Je m’éloignai des tavernes et me mis à parcourir la place : des nuées de promeneurs y soulevaient des flots de poussière. L’été d’Athènes est long, mais les jours en sont courts, et, grâce à la brise de mer, l’air n’y est guère plus chaud qu’il ne l’est à Moscou pendant le rapide été du Nord. Cette saison est en Russie d’une chaleur insupportable ; elle tire à sa fin, la nuit revient et l’hiver la suit à grands pas ; il va me forcer d’abréger mon séjour, malgré l’intérêt que je trouverais à prolonger mon voyage.

On ne souffre pas du froid à Moscou, c’est le