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monde, et que les hommes à sentiments inflexibles, à idées absolues, exclusives, ne conservent que pendant bien peu de moments le pouvoir qu’ils usurpent quelquefois. Pour conserver longtemps l’autorité, il faut l’exercer de manière à mécontenter tout le monde.

« Mais laissons là les considérations générales, et donnez-moi une idée de l’état de la religion dans votre pays ; dites-moi quelle est la culture d’esprit des hommes qui enseignent et qui expliquent l’Évangile en Russie ? »

Bien qu’adressée à un homme fort supérieur, cette question eût été indiscrète à Pétersbourg ; à Moscou, je sentis qu’on pouvait la risquer par la raison qu’ici règne cette liberté mystérieuse dont on use sans s’en rendre compte, qu’on ne peut motiver ni définir, mais qui est réelle, quoique la trompeuse confiance qu’elle inspire puisse parfois se payer bien cher[1]. Voici en résumé ce que m’a répondu mon Russe philosophe, j’emploie le mot dans l’acception la plus favorable. Vous savez déjà de quelle nature sont ses opinions : après des années de séjour dans les divers pays de l’Europe, il est revenu en Russie très-libéral, mais très-conséquent. Voici donc ce qu’il m’a dit :

« On a toujours prêché fort peu dans les églises schismatiques grecques ; et chez nous, l’autorité po-

  1. Voir, plus loin, le danger d’une telle illusion, et la détention arbitraire d’un Français. Vol. IV, Appendice.