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l’habitation désertée de quelque race de géants, race intermédiaire entre Dieu et l’homme ; c’est l’œuvre des cyclopes. On ne saurait la comparer au reste de l’Europe ; mais dans une ville où nul grand artiste en aucun genre n’a laissé l’empreinte de sa pensée, on s’étonne, rien de plus ; or, l’étonnement s’épuise vite, et l’âme ne se complaît guère à l’exprimer.

Toutefois il n’y a pas jusqu’au désenchantement qui suit ici la première surprise, dont je ne tire quelque leçon ; il marque un rapport intime entre l’aspect de la ville et le caractère des hommes. Les Russes aiment ce qui brille, ils se laissent séduire par l’apparence, et c’est aussi ce qui séduit en eux : faire envie, n’importe à quel prix, voilà leur bonheur ! L’orgueil ronge l’Angleterre, la vanité rouille la Russie.

Je sens le besoin de vous rappeler ici que les généralités passent toujours pour des injustices. Toutefois le retour périodique de cette précaution oratoire doit vous ennuyer autant qu’il me fatigue ; je voudrais donc, une fois pour toutes, faire réserve des exceptions, et protester de mon respect, de mon admiration pour les mérites et les agréments individuels qui échappent naturellement à mes critiques. Après tout, je me rassure en pensant que nous ne sommes pas à la Chambre, et que nous ne discutons pas mes opinions à coups d’amendements et de sous-amendements.