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un rêve ; en un mot, à Moscou, on oublie l’Europe. Voilà ce que j’ignorais en France.

Les voyageurs ont donc manqué à leur devoir. Il en est un surtout auquel je ne puis pardonner de ne m’avoir pas fait jouir de son séjour en Russie. Nulle description ne vaut les dessins d’un peintre exact et pittoresque à la fois, comme Horace Vernet. Quel homme fut jamais mieux doué pour sentir et pour faire sentir aux autres l’esprit qui vit dans les choses ? La vérité de la peinture, c’est la physionomie des objets : il la comprend comme un poëte, et la reproduit comme un artiste : aussi je ne sors pas de colère contre lui, chaque fois que je reconnais l’insuffisance de mes paroles : regardez les Horace Vernet, vous dirais-je, et vous connaîtrez Moscou ; ainsi j’atteindrais mon but sans peine, tandis que je me fatigue à le manquer.

Ici tout fait paysage. Si l’art a peu fait pour cette ville, le caprice des ouvriers et la force des choses y ont créé des merveilles. L’aspect extraordinaire des groupes d’édifices, la grandeur des masses frappent l’imagination. À la vérité, c’est une jouissance d’un ordre inférieur : Moscou n’est pas le produit du génie, et les connaisseurs n’y trouvent aucun monument digne d’un examen attentif ; ce n’est pas non plus une majestueuse solitude où le temps silencieux transforme incessamment ce qu’a fait la nature : c’est