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vant tableau. L’ensemble des choses se rend mieux de souvenir, mais, pour peindre certains détails, il faut saisir ses premières impressions au vol.

Le spectacle que je viens de vous décrire me remplissait d’un attendrissement religieux que je craignais de perdre. On a beau croire à la réalité de ce qu’on sent vivement, on n’est point arrivé à l’âge que j’ai sans savoir qu’entre tout ce qui passe, rien ne passe si vite que les émotions tellement vives qu’elles nous semblent devoir durer toujours.

Pétersbourg me paraît moins beau, mais plus étonnant que Venise. Ce sont deux colosses élevés par la peur : Venise fut l’œuvre de la peur toute simple : les derniers des Romains aiment mieux fuir que mourir, et le fruit de la peur de ces colosses antiques devient une des merveilles du monde moderne ; Pétersbourg est également le produit de la terreur, mais d’une terreur pieuse, car la politique russe a su faire de l’obéissance un dogme. Le peuple russe passe pour très-religieux, soit : mais qu’est-ce qu’une religion qu’il est défendu d’enseigner ? On ne prêche jamais dans les églises russes. L’Évangile révélerait la liberté aux Slaves.

Cette crainte de laisser comprendre une partie de ce qu’on veut faire croire m’est suspecte : plus la raison, plus la science resserrent le domaine de la foi, et plus cette lumière divine concentrée dans son foyer