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J’aurai donc tout risqué pour satisfaire l’amour de la vérité, vertu que personne n’a ; et dans mon zèle imprudent, sacrifiant à une divinité qui n’a plus de temple, prenant au positif une allégorie, je manquerai la gloire du martyre et passerai pour un niais. Tant il est vrai que dans une société où le mensonge trouve toujours son salaire, la bonne foi est nécessairement punie !… Le monde a des croix pour chaque vérité.

C’est pour méditer sur ces matières et sur bien d’autres, que je me suis arrêté longtemps au milieu du grand pont de la Néva : je désirais me graver dans la mémoire les deux tableaux différents dont j’y pou vais jouir en me retournant seulement et sans changer de place.

Au levant, le ciel sombre, la terre brillante ; au couchant, le ciel clair et la terre dans l’ombre : il y avait dans l’opposition de ces deux faces de Pétersbourg à l’occident et à l’orient du pont sur lequel je m’étais arrêté, un sens symbolique que je croyais pénétrer : à l’ouest l’ancien, à l’est le moderne Pétersbourg ; c’est bien cela, me disais-je : le passé, la vieille ville, dans la nuit ; l’avenir, la ville nouvelle, dans la lumière… Je serais demeuré là longtemps, j’y serais encore si je n’avais voulu me hâter de rentrer chez moi pour vous peindre, avant d’en avoir perdu la mémoire, une partie de l’admiration rêveuse que me faisaient éprouver les tons décroissants de ce mou-