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de ma liberté : pour servir la vérité, il ne suffit pas de l’apercevoir, il faut la manifester aux autres. Le défaut des esprits solitaires, c’est qu’ils sont trop de leur avis, tout en changeant à chaque instant de point de vue ; car la solitude livre l’esprit de l’homme à l’imagination qui le rend mobile.

Mais vous, vous pouvez et vous devez mettre à profit mes apparentes contradictions pour retrouver l’exacte figure des personnes et des choses à travers mes capricieuses et mouvantes peintures Remerciez moi : peu d’écrivains sont assez courageux pour abandonner au lecteur une partie de leur tâche et pour braver le reproche d’inconséquence plutôt que de charger leur conscience d’un mérite affecté. Quand l’expérience du jour dément mes conclusions de la veille, je ne crains pas de l’avouer : avec la sincérité dont je fais profession, mes voyages deviennent des confessions : les hommes de parti pris sont tout méthode, tout ordonnance, et par là ils échappent à la critique pointilleuse ; mais ceux qui, comme moi, disent ce qu’ils sentent sans s’embarrasser de ce qu’ils ont senti, doivent s’attendre à payer la peine de leur laisser aller. Ce naïf et superstitieux amour de l’exactitude est sans doute une flatterie au lecteur, mais c’est une flatterie dangereuse par le temps qui court. Aussi m’arrive-t-il parfois de craindre que le monde où nous vivons ne soit pas digne du compliment.