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reconnais chaque jour, à mes dépens, que les différences sont ce qu’il y a de plus rare en ce monde ; les ressemblances font le désespoir du voyageur, qu’elles réduisent au rôle de dupe, le plus difficile de tous à accepter, précisément parce qu’il est le plus facile à jouer.

On voyage pour sortir du monde où l’on a passé sa vie, et l’on n’en peut pas sortir ; le monde civilisé n’a plus de limites : c’est la terre. Le genre humain se refond, les langues se perdent, l’idiome dans lequel nous écrivons aujourd’hui se détruit, les nations abdiquent, la philosophie réduit les religions à une croyance intérieure, dernier produit du catholicisme effacé, en attendant qu’il brille d’un nouvel éclat, et serve de base à la société future. Qui peut assigner un terme à ce remaniement du genre humain ? Il est impossible de ne pas entrevoir ici un but providentiel. La malédiction de Babel touche à son terme, et les nations vont s’entendre malgré tout ce qui les a désunies.

Aujourd’hui j’ai recommencé mon voyage par une visite méthodique et détaillée au Kremlin, sous la conduite de M***, à qui j’avais été recommandé ; toujours le Kremlin ! c’est pour moi tout Moscou, toute la Russie ! le Kremlin, c’est un monde ! Mon domestique de place étant allé dès le matin au trésor prévenir le gardien, celui-ci nous attendait. Je croyais trou-