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« Après que, par cette longue accusation, ce maître absolu croit avoir irrévocablement condamné, il interpelle les siens. « Ils viennent d’entendre, s’est-il écrié, la longue déduction de crimes presque inouïs dans le monde, dont son fils est coupable contre lui, son père et son souverain. On sait assez que seul il aurait le droit de le juger ; néanmoins, il vient leur demander leur secours ; car il appréhende la mort éternelle, d’autant plus qu’il a promis le pardon à son fils, et qu’il le lui a juré sur les jugements de Dieu….. C’est donc à eux à en faire justice, sans considération pour sa naissance, sans égard pour sa personne, afin que la patrie ne soit point lésée. » Il est vrai qu’à cet ordre clair et terrible, il a entremêlé ces mots grossièrement astucieux : Qu’on doit prononcer, sans le flatter ni craindre sa disgrâce, si l’on décide que son fils ne mérite qu’une punition légère.

« Les esclaves ont compris leur maitre : ils voient quel est l’horrible secours qu’il leur demande. Aussi, les prêtres consultés n’ont-ils répondu que par des citations de leurs saints livres, choisissant en nombre égal celles qui condamnent et celles qui pardonnent, sans oser mettre de poids dans la balance, pas même cette foi jurée qu’ils craignent de rappeler.

« En même temps, les grands de l’État, au nombre de cent vingt-quatre, ont obéi. Ils ont prononcé la mort unanimement et sans hésiter ; mais leur arrêt les condamne eux-mêmes bien plus que leur victime. On y voit les dégoûtants efforts de cette foule d’esclaves se tourmentant à effacer le parjure de leur maître ; et comme leur lâche mensonge, s’ajoutant au sien, le fait ressortir davantage !

« Pour lui, il achève inflexiblement : rien ne l’arrête, ni le temps qui vient de s’écouler sur sa colère, ni ses remords, ni le repentir d’un infortuné, ni la faiblesse tremblante, soumise, suppliante ! Enfin, tout ce qui d’ordinaire, même entre ennemis étrangers, apaise et désarme, est sans effet sur le cœur d’un père pour son fils.