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interroger encore l’agonie de Glébof, et que celui-ci, lui faisant signe d’approcher de son supplice, lui a craché au visage.

« Moscou elle-même est prisonnière ; en sortir sans son aveu est un crime capital. Ses citoyens ont ordre, sous peine de mort, d’être réciproquement leurs espions et leurs délateurs.

« Cependant, la principale victime est restée tremblante, isolée par tant de coups frappés autour d’elle. Pierre l’entraîne alors des prisons de Moscou dans celles de Pétersbourg.

« C’est là surtout qu’il se tourmente à torturer l’âme de son fils pour en extorquer jusqu’aux moindres souvenirs d’irritation, d’indocilité ou de rébellion ; il les note chaque jour avec un horrible soin ; s’applaudissant à chaque aveu, ajoutant les uns aux autres tous ces soupirs, toutes ces larmes, en dressant un détestable compte ; s’efforçant enfin de composer un crime capital de toutes ces velléités, de tous ces regrets auxquels il prétend donner un poids dans la balance de sa justice[1].

« Puis, quand, à force d’interprétations, il croit avoir fait de rien quelque chose, il se hâte d’appeler l’élite de ses esclaves. Il leur dit son œuvre maudite ; il leur en étale l’iniquité féroce et tyrannique avec une naïveté de barbarie, une candeur de despotisme qu’aveugle son droit de souverain absolu, comme s’il existait un droit hors de la justice, et que tout cédât à son but qui, par bonheur, se trouvait grand et utile.

« Par là, il espère faire attribuer à la justice le sacrifice qu’il fait à sa politique. Il veut se justifier aux dépens de sa victime, et faire taire le double cri de sa conscience et de la nature qui l’importune.

  1. Ici Pierre le Grand n’est-il pas plus odieux, s’il est possible, qu’Ivan IV le Terrible ?