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tion, avaient rejeté ou mis en oubli le surnom de tyran que lui avaient donné ses contemporains. Seulement, d’après quelques souvenirs confus de sa cruauté, ils le nomment encore de nos jours Jean le Terrible ; mais sans le distinguer de son aïeul, à qui l’ancienne Russie avait accordé la même épithète, plutôt comme éloge qu’à titre de reproche. L’histoire ne pardonne pas aux mauvais princes aussi facilement que les peuples. »

Vous le voyez, le grand prince et le monstre sont qualifiés du même surnom le Terrible…, et cela par la postérité ! C’est de l’équité à la russe ; le temps ici est complice de l’injustice. Lecointe Laveau, dans son Guide de Moscou, en décrivant le palais des Czars au Kremlin, ne rougit pas d’invoquer l’ombre d’Ivan IV, qu’il ose comparer à David pleurant les fautes de sa jeunesse. Son livre est écrit pour des Russes.

Je ne puis me refuser le plaisir de vous faire lire une dernière citation de Karamsin ; c’est le résumé du caractère d’un prince dont la Russie se glorifie. Un Russe seul pouvait parler d’Ivan III comme en parle Karamsin, et croire qu’il en fait l’éloge. Un Russe seul pouvait peindre le règne d’Ivan IV comme le peint Karamsin, et finir ce tableau par des excuses au despotisme. Voici textuellement comment l’historien caractérise le grand Ivan III, l’aïeul d’Ivan IV. Tome VI, pages 434, 435, 436.

« Fier dans ses relations avec les autres souverains, Ivan III aimait à déployer une grande pompe devant leurs ambassadeurs ; il introduisit l’usage de baiser la main du monarque, en signe de faveur distinguée ; il voulut, par tous les moyens extérieurs possibles, s’élever au-dessus des hommes, pour frapper fortement l’imagination ; ayant enfin pénétré le secret de l’autocratie, il devint comme un dieu terrestre aux yeux des Russes, qui commencèrent dès lors (c’est Karamsin ou son traducteur qui souligne ce mot) à étonner tous les autres peuples par une aveugle soumission à la volonté de leur souverain. Le premier, il