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Les décrets de Dieu sont impénétrables : la terre les subit sans les comprendre… Mais, malgré son aveuglement, l’homme conserve l’éternel besoin de la justice et de la vérité ; ce besoin que rien ne peut étouffer dans les cours est une promesse d’immortalité, car ce n’est point ici-bas qu’il sera satisfait. Il est en nous, mais il vient de plus haut que la terre, et nous conduit plus loin.

Le spiritualisme reproché de nos jours aux chrétiens, par des hommes qui s’efforcent d’expliquer l’Évangile dans un sens favorable à leur politique, et qui veulent appuyer sur la jouissance une religion fondée sur le renoncement, ce spiritualisme qu’on nous représente comme une pieuse fraude de nos prêtres, est pourtant le seul remède que Dieu ait offert aux hommes contre les inévitables maux de la vie telle qu’il la leur a faite, et qu’ils se la sont faite à eux-mêmes.

Le peuple russe est de tous les peuples civilisés celui chez lequel le sentiment de l’équité est le plus faible et le plus vague ; aussi, en donnant à Ivan IV le surnom de Terrible, accordé autrefois à titre d’éloge à son aïeul Ivan III, n’a-t-il fait justice ni au glorieux monarque, ni au tyran ; il a flatté celui-ci après sa mort, et ce trait est encore caractéristique. Est-il vrai qu’en Russie la tyrannie ne meurt pas ? Voyez toujours Karamsin, pages 600 et 601, vol. IX.

« Il est à remarquer, dit-il, que dans la mémoire du peuple, la brillante renommée de Jean a survécu au souvenir de ses mauvaises qualités. Les gémissements avaient cessé, les victimes étaient réduites en poussière, des événements nouveaux faisaient oublier les anciennes traditions, et le nom de ce prince paraissait en tête du code des lois ; il rappelait la conquête des trois royaumes mongols. Les témoignages de ses actions atroces étaient ensevelis au fond des archives, tandis que dans le cours des siècles, Kazan, Astrakan, la Sibérie étaient aux yeux du peuple d’impérissables monuments de sa gloire. Les Russes, qui révéraient en lui l’illustre auteur de leur puissance, de leur civilisa-