Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

innocemment en une satire sanglante ; une telle timidité équivaut à de l’audace, car c’est une révélation, révélation d’au tant plus frappante qu’elle est involontaire.

Néanmoins les Russes, autorisés par l’approbation du souverain, s’enorgueillissent de ce talent qu’ils admirent, par ordre, tandis qu’ils devraient bannir le livre de toutes leurs bibliothèques, en refaire une édition, déclarer la première apocryphe, ou plutôt en nier l’existence, soutenir qu’elle n’a jamais paru, et que la publication n’a commencé qu’à la seconde, qui deviendrait la première.

N’est-ce pas leur manière de procéder contre toute vérité gênante ? À Saint-Pétersbourg on étouffe les hommes dangereux et l’on supprime les faits incommodes ; avec cela on fait ce qu’on veut. Si les Russes ne prennent ce moyen pour se défendre des coups que le livre de leur Karamsin porte au despotisme, la vengeance de l’histoire sera presque assurée, car la vérité est en partie dévoilée.

L’Europe, au contraire, doit des honneurs à la mémoire de Karamsin ; quel est l’étranger qui aurait obtenu la permission d’aller fouiller aux sources où il a puisé pour en tirer le peu de clarté qu’il jette sur la plus ténébreuse des histoires modernes ? Ne suffit-il pas que le régime despotique rende toujours de telles conséquences possibles, pour qu’il soit jugé et condamné ? Un pareil gouvernement ne peut subsister qu’à force de silence et de ténèbres !!!

Il paraît que Dieu veut qu’il dure dans ce pays singulier : car s’il aveugle l’esprit du peuple, celui des écrivains et des grands, il enseigne au pouvoir absolu, je suis forcé d’en convenir, à tempérer l’ardeur du feu dans la fournaise ; la tyrannie est devenue moins pesante, mais son principe persiste et produit trop souvent encore les résultats les plus extrêmes ; la Sibérie le sait.., les souterrains de la forteresse de Pierre le Grand, à Pétersbourg, les prisons de Moscou, de Schlusselbourg, tant d’autres cachots muets, et qui me sont inconnus, le savent, la Pologne le sait….