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être grâce à cette rapidité qui tient de l’improvisation, il y a dans la Chute d’un Ange des beautés de premier ordre ; c’est de la poésie à fresque ; mais le public français a pris la loupe pour la juger ; il a comparé la première inspiration du génie à des œuvres achevées ; il s’est trompé, ce qui arrive parfois même à un public.

J’avoue qu’il m’a fallu, pour bien apprécier le mérite de cette ébauche épique, venir jusqu’au pied du Kremlin lire les pages sanglantes de l’Histoire de Russie. Karamsin, tout timide historien qu’il est, est instructif, parce qu’il a un fond de loyauté qui perce à travers ses habitudes de prudence, et qui lutte contre son origine russe et contre ses préjugés d’éducation. Dieu l’avait appelé à venger l’humanité, malgré lui peut-être, et malgré elle. Sans les ménagements que je lui reproche, on ne l’eût pas laissé écrire : l’équité fait ici l’effet d’une révolution, et ma sincérité y sera taxée de trahison. « Parler de la sorte d’un pays où l’on a été si bien reçu ! » Et que dirait-on donc si j’y eusse été mal reçu ? on dirait : « C’est une basse vengeance. » J’aime encore mieux le reproche d’ingratitude. De toutes ces considérations étrangères au fond des choses, il résulterait que pour oser dire ce qu’on pense sur la Russie, il faudrait n’y avoir pas été reçu du tout. L’essentiel est de savoir si j’ai dit la vérité. Peu importe au lecteur de savoir si j’avais le droit de la dire.

J’ajoute ici divers extraits qui me paraissent appuyer d’une manière frappante l’opinion que ce voyage m’a forcé de prendre des Russes et de leur pays.

Je commence par les excuses que Karamsin croit devoir adresser au despotisme pour avoir osé peindre la tyrannie ; le mélange de hardiesse et de crainte que vous reconnaitrez dans ce passage vous inspirera, comme il me l’inspire, une admiration mêlée de pitié pour un historien si gêné par les choses dans l’expression des idées.

Volume IX, pages 556 et suivantes : « A peine soustraite au joug des Mogols, la Russie avait dû se voir encore la