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APPENDICE.


En terminant ici ce travail historique préparé depuis mon arrivée à Pétersbourg, je veux vous répéter que l’art n’a pas de nom pour caractériser l’architecture de cette forteresse infernale ; le style de ces palais, de ces prisons, de ces chapelles, surnommées cathédrales, ne ressemble à rien de connu. Le Kremlin n’a point de modèle : il n’est bâti ni dans le goût moresque, ni dans le goût gothique, ni dans le goût ancien, ni même dans le style byzantin pur ; il ne rappelle ni l’Alhambra, ni les monuments de l’Égypte, ni ceux de la Grèce d’aucun temps, ni l’Inde, ni la Chine, ni Rome… C’est, passez-moi l’expression, c’est de l’architecture czarique.

Ivan est l’idéal du tyran ; le Kremlin est l’idéal du palais d’un tyran. Le Czar, c’est l’habitant du Kremlin ; le Kremlin, c’est la maison du Czar. J’ai peu de goût pour les mots de nouvelle fabrique, surtout pour ceux qui ne sont encore autorisés que par l’usage que j’en fais, mais l’architecture czarique est une expression nécessaire à tout voyageur, aucune autre ne pourrait vous représenter ce qu’elle peint à la pensée de qui conque sait ce que c’est qu’un Czar.

Rêvez, un jour de fièvre, que vous parcourez l’habitation des hommes que vous venez de voir vivre et mourir devant vous, et vous vous figurerez aussitôt cette ville de géants, dont les édifices s’élèvent les uns sur les autres, au milieu de la ville des hommes. Il y a dans Moscou deux cités en présence, celle des bourreaux et celle des victimes. L’histoire nous montre comment ces deux côtés ont pu naître l’une de l’autre, et subsister l’une dans l’autre.

Le Kremlin a été deviné par M. de Lamartine, qui, sans l’avoir vu, l’a peint dans ses descriptions de la ville des géants antédiluviens. Malgré la rapidité du travail, ou peut--