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Appelé par mon caractère, qui a fait mon sort, à voir passer la vie des autres plutôt qu’à vivre moi-même, si vous me refusez la rêverie sous prétexte que j’ai joui trop longtemps de cette ivresse des enfants et des poëtes, vous m’ôtez avant l’heure ce que Dieu m’avait départi d’existence.

C’est par un esprit de réaction contre les doctrines chrétiennes qu’on est convenu dans le monde, surtout depuis un siècle, de préconiser l’ambition en la donnant pour remède à l’égoïsme ; comme si la plus cruelle, la plus impitoyable des passions, l’envie, fille de l’ambition, n’était pas tout à la fois une cause et un effet de l’égoïsme, et comme si l’État se voyait à chaque instant menacé de manquer de talents orgueilleux, de cours avides, d’esprits dominateurs. De cette soi-disant vertu des ambitieux il suit que les chefs des peuples, les hommes d’action, semblent avoir le privilége de l’iniquité ; quant à moi, je ne vois nulle différence entre l’injuste convoitise d’une nation conquérante et le vol à main armée d’un brigand ! La seule distinction à établir entre les crimes publics et les forfaits isolés, c’est que les uns font un grand et les autres un petit mal.

Mais que deviendrait la société, dites-vous, si tous les hommes faisaient ce que vous faites et disaient ce que vous dites ? Singulière crainte des serviteurs du siècle ! Ils croient toujours leur idole