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est temps de retourner chez nous ! … Quelle singulière idée t’est venue de te faire passer pour un homme de marque ! Il est vrai qu’obligé d’éloigner les perfides boyards qui nous entouraient, nous avons dû rapprocher de notre personne des esclaves comme toi de basse extraction : mais tu ne dois pas oublier ton père et ton aïeul. Oses-tu t’égaler à Divy ? La liberté te rendrait un lit voluptueux, tandis qu’elle lui mettrait un glaive à la main contre les chrétiens. Il doit suffire que protégeant ceux de nos esclaves qui nous servent avec zèle, nous soyons prêts à payer une rançon pour toi. »

La réponse du serviteur est digne de la lettre du maître : la voici telle que Karamsin nous la rapporte : il y a là plus que la peinture du cœur d’un homme vil ; on peut s’y faire une idée de l’espionnage exercé dès lors chez l’étranger par les Russes. Il en est peu sans doute qui seraient capables de commettre les crimes de Griaznoï, mais je ne puis m’empêcher de croire qu’il en est plusieurs qui écriraient des lettres pareilles, au moins pour le fond des sentiments, à celle de ce misérable ; la voici :

« Mon seigneur, je n’ai pas dormi en pays ennemi : j’exécutais tes ordres, je recueillais des renseignements pour la sûreté de l’Empire ; ne me fiant à personne et veillant jour et nuit, j’ai été pris couvert de blessures, au moment de rendre le