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bonheur des élus. Quelle que soit la main qui vous ôte le jour, elle vous sert au lieu de vous nuire. Vous quittez peu pour trouver beaucoup, vous souffrez un temps pour jouir pendant une éternité ; qu’est-ce que la possession de la terre entière en comparaison du prix assuré à la vertu, à cet unique bien dont la tyrannie ne puisse dépouiller les hommes, puisqu’au contraire le bourreau accroît, centuple ce trésor des victimes par les moyens de sanctification qu’il offre à leur résignation pieuse ?

C’est ainsi que raisonnent les peuples passionnés pour la soumission à toute épreuve ; mais jamais cette dangereuse religion n’a produit autant de fanatiques qu’en a vu et qu’en voit encore la Russie.

On frémit en reconnaissant à quel usage les vérités religieuses peuvent servir ici-bas ; et l’on tombe à genoux devant Dieu pour lui demander une grâce, une seule, c’est de vouloir que les interprètes de sa suprême sagesse soient toujours des hommes libres : un prêtre esclave est inévitablement un menteur, un apostat, et peut devenir un bourreau. Toute Église nationale est au moins schismatique et dès lors dépendante. Le sanctuaire, une fois qu’il a été profané par la révolte, devient une officine où se distille le poison sous l’apparence du remède. Tout véritable prêtre est citoyen du monde et pèlerin du ciel. Sans s’élever au-dessus des lois de son pays comme