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Un jour il imagine de se revêtir du froc, il en revêt ses compagnons de débauche ; travesti de la sorte, il continue d’épouvanter le ciel et la terre par son inhumanité ainsi que par son libertinage monstrueux. Il émousse l’indignation dans le cœur des peuples ; il tente le désespoir, mais toujours en vain ! À l’insatiable cruauté, à la démence du maître, l’esclave oppose une inépuisable résignation : les Russes veulent vivre sous ce prince, ils l’aiment avec ses fureurs et ses déportements ; prenant en pitié ses terreurs, ils donnent volontiers leur vie pour le rassurer. Ils se trouvent assez heureux, assez indépendants, assez hommes, pourvu qu’il soit Czar et qu’il règne. Rien n’assouvit leur inextinguible soif de servitude, ce sont des martyrs d’abjection ; jamais brute ne fut plus généreuse, je veux dire plus aveugle dans sa soumission….. Non, l’obéissance poussée à cet excès n’est plus de la patience, c’est de la passion ; et voilà le mot de l’énigme !

Chez les nations encore jeunes, il existe une telle foi en l’universelle présence de Dieu, un tel sentiment de son intervention dans les moindres événements de ce monde, que la marche des affaires humaines n’y est jamais attribuée à l’homme ; tout ce qui arrive est le résultat d’un décret du ciel : quels sont les biens périssables que n’abandonne pas avec joie un vrai croyant ? La vie n’est rien pour qui n’aspire qu’au