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un Ivan IV : un tigre pour Dieu plutôt que l’anéantissement de l’Empire : telle fut la politique russe sous ce règne qui a fait la Russie, et qui m’épouvante bien plus encore par la longanimité des victimes que par la frénésie du tyran ; politique d’instinct ou de calcul, peu m’importe !… Ce qui m’importe, et ce que je vois avec terreur, c’est qu’elle se perpétue tout en se modifiant d’après les circonstances, et qu’aujourd’hui encore elle produirait les mêmes effets sous un règne semblable, s’il était donné à la terre de faire naître deux fois un Ivan IV.

Admirez donc ce tableau unique dans l’histoire du monde : les Russes, avec le courage et la bassesse des hommes qui veulent posséder la terre, pleurent aux pieds d’Ivan pour qu’il continue de les gouverner….. vous savez comment, et pour qu’il leur conserve ce qui ferait haïr la société à tout peuple qui ne serait pas enivré du pressentiment fanatique de sa gloire.

Tous jurent, les grands, les petits, les boyards, les marchands, les castes et les individus, en un mot, la nation en masse jure avec larmes, avec amour de se soumettre à tout, pourvu qu’il ne l’abandonne pas à elle-même : ce comble d’infortune est le seul revers que les Russes, dans leur ignoble patriotisme, ne puissent envisager de sang-froid, attendu que l’inévitable désordre qui en résulterait détruirait leur