Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Eh bien ! devant ce spectacle, la Russie reste muette !!… Mais non, bientôt vous la verrez s’émouvoir ; elle va protester. Gardez-vous de croire que ce soit en faveur de l’humanité outragée ; elle proteste contre le malheur de perdre un prince qui la gouverne de la manière que vous venez de voir.

Le monstre, après avoir donné tant de gages de férocité, devait être connu de son peuple, il l’était !… Tout à coup, soit pour s’amuser à mesurer la longanimité des Russes, soit repentir chrétien… (il affectait du respect pour les choses saintes ; l’hypocrisie même a pu se changer en dévotion vraie à certains moments d’une vie toute surnaturelle, car la grâce, cette manne des esprits, ce poison céleste pénètre par intervalles dans le cœur des plus grands criminels, tant que la mort n’a pas consommé leur réprobation)…. soit donc repentir chrétien, soit peur, soit caprice, soit fatigue, soit ruse, un jour il dépose son sceptre, c’est-à-dire sa hache, et jette sa couronne à terre. Alors, mais alors seulement dans tout le cours de ce long règne, l’Empire s’émeut : la nation menacée de délivrance se réveille comme en sursaut : les Russes, jusque-là témoins muets, instruments passifs de tant d’horreurs, retrouvent la voix, et cette voix du peuple qui prétend être la voix de Dieu, s’élève tout à coup pour déplorer la perte d’un tel tyran !… Peut-être doutait-on de sa bonne foi, on