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sans y faire grâce à personne ; tout y passe, tout ce qui a eu vie disparaît : tout, jusqu’aux animaux, jusqu’aux poissons qu’il empoisonne dans les lacs, dans les rivières ; le croiriez-vous ! il oblige des fils à faire l’office de bourreaux… contre leurs pères !….. et il s’en trouve qui obéissent !!!… Il nous apprend que l’homme peut porter l’amour de la vie au point de tuer, de peur de la perdre, l’être de qui il la tient.

Se servant de corps humains pour horloges, Ivan invente des poisons à heure fixe, et parvient à marquer avec une régularité satisfaisante les moindres divisions de son temps par la mort de ses sujets, échelonnés avec art de minute en minute sur le chemin du tombeau qu’il tient sans cesse ouvert sous leurs pas ; la précision la plus scrupuleuse préside à ce divertissement infernal. Infernal n’est-il pas le mot propre ? l’homme à lui seul inventerait-il de telles voluptés ? oserait-il surtout profaner le saint nom de justice en l’appliquant à ce jeu impie ? qui oserait douter de l’enfer en lisant une pareille histoire !

Le monstre assiste lui-même à tous les supplices qu’il commande : la vapeur du sang l’enivre sans le saturer ; il n’est jamais plus allègre que lorsqu’il a vu mourir et fait souffrir beaucoup de malheureux.

Il se fait un divertissement, que dis-je, un devoir d’insulter à leur martyre, et le tranchant de sa parole moqueuse est plus acéré que le fer de ses poignards.