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décrire les lieux avec détail : plus tard je ferai une visite méthodique au trésor et vous saurez ce que j’y aurai vu.

Le Kremlin sur sa colline m’est apparu de loin comme une ville princière, bâtie au milieu de la ville populaire. Ce tyrannique château, cet orgueilleux monceau de pierres domine le séjour du commun des hommes de toute la hauteur de ses rochers, de ses murs et de ses campaniles, et contrairement à ce qui arrive aux monuments d’une dimension ordinaire, plus on approche de cette masse indestructible, et plus on est émerveillé. Tel que certains ossements d’animaux gigantesques, le Kremlin nous prouve l’histoire d’un monde dont nous ne pouvons nous empêcher de douter encore, même en en retrouvant les débris. À cette création prodigieuse, la force tient lieu de beauté, le caprice d’élégance ; c’est le rêve d’un tyran, mais c’est puissant, c’est effrayant comme la pensée d’un homme qui commande à la pensée d’un peuple ; il y a là quelque chose de disproportionné : je vois des moyens de défense qui supposent des guerres comme il ne s’en fait plus ; cette architecture n’est pas en rapport avec les besoins de la civilisation moderne.

Héritage des temps fabuleux, où le mensonge était roi sans contrôle : geôle, palais, sanctuaire ; boulevard contre l’étranger, bastille contre la nation,