Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’histoire, au Moscou merveilleux. Ces aqueducs, sans eau, supportent encore d’autres étages d’édifices plus fantastiques ; j’ai entrevu, appuyée sur un de ces passages suspendus, une tour basse et ronde, toute hérissée de créneaux en fer de lance : la blancheur éclatante de cet ornement singulier se détache sur un mur rouge de sang : contraste criant ! et que l’obscurité toujours un peu transparente des nuits septentrionales ne m’empêchait pas de discerner. Cette tour était un géant qui dominait de toute sa tête le fort dont il paraissait le gardien. Quand je fus rassasié du plaisir de rêver tout éveillé, je tâchai de retrouver mon chemin pour rentrer chez moi, où je me suis mis à vous écrire : occupation peu propre à calmer mon agitation. Mais je suis trop fatigué, je ne puis me reposer ; il faut de la force pour dormir.

Que ne voit-on pas la nuit au clair de lune en tournant au pied du Kremlin ? là tout est surnaturel ; on y croit aux spectres malgré soi : qui pourrait approcher sans une religieuse terreur de ce boulevard sacré dont une pierre détachée par Bonaparte a rebondi jusqu’à Sainte-Hélène pour écraser le téméraire triomphateur au milieu de l’Océan… Pardon, je suis né du temps des phrases. La plus nouvelle des nouvelles écoles achève de les bannir et de simplifier le langage d’après cette loi : que les peuples les plus dénués d’imagination sont ceux qui se gardent le plus soi-