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ait sa destination quelque part : les injustices de ce monde ont pour excuses nos passions : l’inflexible justice de l’autre aura pour avocat notre conscience.

J’ai suivi lentement des promeneurs désœuvrés et après avoir descendu et remonté plusieurs pentes à la suite d’un flot d’oisifs que je prenais machinalement pour guides, je suis arrivé vers le centre de la ville, sur une place vague où commence une allée de jardin ; cette promenade me parut très-brillante : on entendait de la musique lointaine, on voyait scintiller des lumières nombreuses, plusieurs cafés ouverts rappelaient l’Europe ; mais je ne pouvais m’intéresser à ces plaisirs : j’étais sous les murs du Kremlin ; montagne colossale élevée pour la tyrannie, par les bras des esclaves. On a fait pour la ville moderne une promenade publique, une espèce de jardin planté à l’anglaise autour des murs de cette ancienne forteresse de Moscou.

Savez-vous ce que c’est que les murs du Kremlin ? ce mot de murs vous donne l’idée d’une chose trop ordinaire, trop mesquine, il vous trompe ; les murailles du Kremlin : c’est une chaîne de montagnes… Cette citadelle bâtie aux confins de l’Europe et de l’Asie est aux remparts ordinaires ce que les Alpes sont à nos collines : le Kremlin est le mont Blanc des forteresses. Si le géant qu’on appelle l’Empire russe