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l’art !… les chefs-d’œuvre se survivent à eux-mêmes, ils subsistent dans la mémoire des hommes bien des siècles après que le temps les a ruinés ; ils participent par l’inspiration qui se manifeste jusque dans leurs derniers débris, à l’immortalité de la pensée qui les a créés ; tandis que des masses informes, quelque solidité qu’on leur donne, seront oubliées même avant que le temps en ait fait raison. L’art, lorsqu’il atteint à sa perfection, donne de l’âme aux pierres ; c’est un mystère. Voilà ce qu’on apprend en Grèce, où chaque morceau de sculpture concourt à l’effet du plan général de chaque monument. En architecture, comme dans les autres arts, c’est de l’excellence des moindres détails et de leurs rapports savamment combinés avec le plan général, que naît le sentiment du beau. Rien dans toute la Russie ne produit cette impression.

Néanmoins, dans le chaos de plâtre, de briques et de planches qu’on appelle Moscou, deux points fixent incessamment les regards : l’église de Saint-Basile, je vous en décrirai tout à l’heure l’apparence, et le Kremlin, le Kremlin, dont Napoléon lui-même n’a pu faire sauter que quelques pierres !

Ce prodigieux monument, avec ses murs blancs, inégaux, déchirés, ses créneaux étagés, est à lui seul grand comme une ville. On me dit qu’il a une lieue de tour. Vers la fin du jour, au moment où j’entrais à Moscou, les masses bizarres des palais et des églises