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une salle de bal, espèce de café public, rendez-vous des oisifs de la ville pendant la belle saison.

Passé Pétrowski, le désenchantement va toujours croissant, tellement qu’en entrant dans Moscou on finit par ne plus croire à ce qu’on avait aperçu de loin : on rêvait, et au réveil on se retrouve dans ce qu’il y a de plus prosaïque et de plus ennuyeux au monde ; dans une grande ville sans monuments, c’est-à-dire sans un seul objet d’art qui soit digne d’une admiration réfléchie ; devant cette lourde et maladroite copie de l’Europe, vous vous demandez ce qu’est devenue l’Asie qui vous était apparue un instant. Moscou, vu du dehors et dans son ensemble, est une création des sylphes, c’est le monde des chimères ; de près et en détail, c’est une vaste cité marchande, inégale, poudreuse, mal pavée, mal bâtie, peu peuplée, qui dénote sans doute l’œuvre d’une main puissante, mais en même temps la pensée d’une tête à qui l’idée du beau a manqué pour produire un chef-d’œuvre. Le peuple russe a la force des bras, c’est-à-dire celle du nombre ; la puissance de l’imagination lui manque.

Sans génie pour l’architecture, sans talent, sans goût pour la sculpture, on peut entasser des pierres, faire des choses énormes par les dimensions ; on ne peut produire rien d’harmonieux, c’est-à-dire de grand par les proportions. Heureux privilége de