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oublier par la peinture d’une plaine de quelques mille lieues, et par la description d’une société qui n’a d’original que ce qu’elle cache….. La tâche est rude.

Moscou même ne me dédommagera pas de la peine que je me donne pour l’aller voir. Renonçons à Moscou, faisons tourner bride au postillon, et partons en toute hâte pour Paris. J’en étais là de mes rêveries quand le jour est venu. Ma calèche était restée découverte et dans mon demi-sommeil je ne m’apercevais pas de la maligne influence des rosées du Nord : mes habits étaient traversés, mes cheveux comme trempés de sueur, tous les cuirs de ma voiture baignés d’une eau malfaisante. J’avais mal aux yeux, un voile était sur ma vue : je me rappelais le prince de*** devenu aveugle en vingt-quatre heures pour avoir bivouaqué en Pologne sous la même latitude dans une prairie humide[1].

Mon domestique m’annonce que ma voiture est raccommodée : je pars, et si l’on ne m’a pas ensorcelé, si quelque accident nouveau ne me retient pas en chemin, si je ne suis pas destiné à faire mon en-

  1. Peu s’en fallut que ce malheur auquel je croyais avoir échappé ne m’arrivât. Le mal d’yeux qui commençait, quand j’écrivais cette lettre, n’a fait qu’augmenter pendant tout mon séjour à Moscou et plus loin ; enfin, au retour de la foire de Nijni, il a dégénéré en une ophthalmie chronique dont je me ressens encore.