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autour de cette ville nouvellement recrépie et où je retrouve les éternels frontons romains et les colonnades de plâtre que les Russes aiment tant, parce qu’ils croient prouver par là qu’ils s’entendent aux arts ; on ne peut avancer qu’au pas sur cette route encombrée. La ville, dont je fais le tour, me paraît immense : c’est Twer, nom qui me retrace les interminables disputes de famille dont est remplie l’histoire de Russie jusqu’à l’invasion des Tatares : j’entends les frères insulter leurs frères ; le cri de guerre retentit ; j’assiste au massacre, le Volga roule du sang ; du fond de l’Asie les Calmouks viennent le boire pour en verser d’autre. Mais moi, pourquoi suis-je mêlé à cette foule altérée de carnage ? c’est pour avoir un nouveau voyage à vous raconter ; comme si le tableau d’un pays où la nature n’a rien fait, où l’art n’a produit que des ébauches ou des copies pouvait vous intéresser après la description de l’Espagne, de cette terre où le peuple le plus original, le plus gai, le plus indépendant de caractère, et même le plus libre de fait, si ce n’est de droit[1], lutte sourdement contre le gouvernement le plus sombre ; où l’on danse, où l’on prie ensemble en attendant qu’on s’égorge et qu’on pille les églises : voilà le tableau qu’il faut vous faire

  1. À 20 lieues de Madrid, du temps de la monarchie absolue, le berger castillan ne se doutait pas qu’il y eût un gouvernement en Espagne.