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jument qui lui donna son lait ; mais il n’avait plus la force de teter. Les uns disaient qu’il tetterait plus tard, d’autres qu’il était fourbu, et qu’il allait mourir. Je commence à comprendre quelques mots de russe ; en écoutant cet arrêt, prononcé par l’ancien du village, notre petit postillon s’identifiait avec le jeune animal, et prévoyant sans doute le traitement réservé au gardien des poulains, il paraissait consterné, comme s’il eût dû recevoir lui-même les coups dont on allait accabler son camarade. Jamais je n’ai vu l’expression du désespoir plus profondément empreinte sur un visage d’enfant ; mais pas un regard, pas un geste de reproche contre mon cruel courrier ne lui échappa. Tant d’empire sur soi-même, tant de contrainte à cet âge me faisait peur et pitié.

Cependant le courrier, sans s’occuper un instant du poulain, sans accorder un regard à l’enfant désolé, remplissait gravement sa tâche, et s’occupait, avec l’air d’importance requis en pareil cas, de nous faire amener un nouvel attelage.

Sur cette route, la principale et la plus fréquentée de la Russie, les villages où se trouvent les relais sont peuplés de paysans établis là pour desservir la poste ; à l’arrivée d’une voiture, le directeur Impérial envoie de maison en maison chercher des chevaux et un homme disponibles : quelquefois les distances sont assez considérables pour faire perdre aux voyageurs