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chaque fois qu’un paysan paraissait de loin sur la route, l’enfant sentait renaître l’espoir de délivrer son cher poulain ; il faisait de loin des signes, il se préparait à parler, il criait de cent pas au-devant du piéton, mais n’osant ralentir l’impitoyable galop de nos chevaux, il ne parvenait pas à se faire comprendre à temps. Si parfois un paysan, plus avisé que les autres, pensait de lui-même à s’emparer du poulain, la voiture lancée ne le laissait point approcher, et le jeune animal, collé aux flancs d’une de nos juments, passait hors d’atteinte devant l’homme déconcerté ; la même chose avait lieu dans les villages ; à la fin, le découragement de notre postillon devint tel que cet enfant abruti n’appelait même plus les gens au secours de son protégé. Cette valeureuse bête, âgée de huit jours, au dire du postillon, eut assez de nerf pour faire ses six lieues au galop.

Là, notre esclave, c’est de l’homme que je parle, se voyant enfin délivré du joug rigoureux de la discipline, put appeler le village tout entier au secours du poulain ; l’énergie de ce généreux animal était telle que, malgré la fatigue d’une course forcée, malgré la roideur de ses membres ruinés avant d’être formés, il fut encore très-difficile à prendre. On ne put s’en saisir qu’en le faisant entrer dans une écurie à la suite de la jument qu’il avait adoptée pour mère. Quand on lui eut mis un licol, on l’enferma près d’une autre