Plus je vis dans ce pays, plus je reconnais que le mépris pour le faible est contagieux ; ce sentiment devient si naturel ici que ceux qui le blâment le plus vivement finissent par le partager. J’en suis la preuve.
En Russie, le besoin de voyager vite devient une passion, et cette passion sert de prétexte à toutes sortes d’actes inhumains. Mon courrier la partage et me la communique ; d’où il suit que je me rends souvent sans me l’avouer complice de ses injustices. Il se fâche lorsque le cocher descend de son siège pour rajuster un harnais, ou que cet homme s’arrête en chemin sous tout autre prétexte.
Hier au soir, au commencement d’un relais, un jeune enfant qui nous menait avait été plusieurs fois menacé de coups par mon feldjæger pour un semblable délit, et je partageais l’impatience et la colère de cet homme ; tout à coup un poulain, âgé seulement de quelques jours et bien connu de l’enfant, s’échappe d’un enclos voisin de la route et se met à galoper et à hennir auprès de ma voiture, car il prenait une des cavales de notre attelage pour sa mère. Le jeune postillon, déjà coupable de retard, veut encore une fois s’arrêter pour venir en aide au poulain, qu’il voit à chaque instant menacé d’être écrasé sous ma voiture. Mon courrier lui défend impérieusement de descendre ; l’enfant, immobile sur son siège, obéit en bon