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licatesse, de noblesse ; et qu’il supplée à ces qualités par la patience et la finesse : tel est mon droit d’exposition, droit acquis à tout observateur véridique ; mais je l’avoue, à tort ou à raison, je vais plus loin encore ; je condamne ou je loue ce que je vois ; ce n’est pas assez de peindre, je veux juger ; si vous me trouvez passionné, permis à vous d’être plus raisonnable que moi.

L’impassibilité est une vertu facile au lecteur ; tandis qu’elle a toujours paru difficile si ce n’est impossible à l’écrivain.

« Le peuple russe est doux, » s’écrie-t-on ; à cela je réponds : « Je ne lui en sais nul gré, c’est l’habitude de la soumission… » D’autres me disent : « Le peuple russe n’est doux que parce qu’il n’ose montrer ce qu’il a dans le cœur : le fond de ses sentiments et de ses idées, c’est la superstition et la férocité. » À ceci, je réponds : « Pauvre peuple ! il est si mal élevé. »

Voilà pourquoi les paysans russes me font grande pitié, quoiqu’ils soient les hommes les plus heureux, c’est-à-dire les moins à plaindre de la Russie. Les Russes se récrieront et ils protesteront de bonne foi contre mes exagérations, car il n’est pas de maux que l’habitude et l’ignorance des biens contraires n’atténuent ; mais moi, je suis de bonne foi aussi, et le point d’où je considère les objets me permet d’aper-