Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 3, Amyot, 1846.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant malgré ma prudence obligée je ne pus m’empêcher de lui faire remarquer qu’un homme qui passerait aujourd’hui chez nous pour un aristocrate ultra, pourrait bien être rangé, à Pétersbourg, parmi les libéraux les plus exagérés ; et je finis en ajoutant : « Quand vous m’assurez que, dans vos familles, on ne pense pas qu’il soit nécessaire d’acquitter ses dettes, je ne vous en crois pas sur parole.

— Vous avez tort ; plusieurs d’entre nous ont des fortunes énormes, mais ils seraient ruinés s’ils voulaient payer ce qu’ils doivent. »

J’ai regardé d’abord ce langage comme une vanterie de mauvais goût, ou même comme un piége tendu à ma crédulité ; mais les informations que j’ai prises plus tard m’ont prouvé qu’il était sérieux.

Pour me faire comprendre à quel point les personnes du grand monde en Russie ont l’esprit français, la même dame me racontait qu’un de ses parents chez lequel on jouait un jour des vaudevilles, répondit par des vers improvisés à d’autres vers chantés en l’honneur du maître de la maison, le tout sur le même air : « Vous voyez combien nous sommes Français, » ajoutait-elle avec un orgueil qui me faisait rire tout bas. « Oui, plus que nous, » répondis-je, et nous parlâmes d’autre chose. Je me figurais l’étonnement de cette dame franco-russe, arrivant à Paris dans les salons[1]

  1. Les salons d’une femme !… expression nouvellement empruntée