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en Russie dans la plupart des familles prépondérantes. Dernièrement, une grande dame me fit, sans s’en douter, un aveu naïf ; son discours m’a trop frappé pour que je ne sois pas sûr de vous le rendre mot à mot ; de pareils sentiments, assez communs ici parmi les hommes, sont rares parmi les femmes, qui ont conservé mieux que leurs maris ou que leurs frères la tradition des idées véritablement nobles. Voilà pourquoi ce langage m’a doublement surpris dans la bouche de la personne qui le tenait.

« Nous ne saurions, disait-elle, nous faire une juste idée d’un état social tel que le vôtre ; on m’assure qu’en France aujourd’hui le plus grand seigneur pourrait être mis en prison pour une dette de deux cents francs : c’est révoltant ; voyez la différence : il n’y a pas dans toute la Russie un fournisseur, un marchand qui osât nous refuser du crédit pour un temps illimité ; avec vos opinions aristocratiques, ajouta-t-elle, vous devez vous trouver à l’aise chez nous. Il y a plus de rapports entre les Français de l’ancien régime et nous, qu’entre aucune des autres nations de l’Europe. »

Il est certain que j’ai rencontré plusieurs vieux Russes qui ont la réputation de faire très-bien de petits couplets impromptus.

Je ne saurais vous dire ce qu’il m’a fallu d’empire sur moi-même pour ne pas protester soudain et hautement contre l’affinité dont se vantait cette dame.