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une courroie, une enveloppe de malle, ne fût-ce qu’une bougie de lanterne, un clou, une vis ; enfin il ne retournait jamais au logis les mains nettes.

Ces hommes, tout avides d’argent qu’ils sont, n’osent se plaindre quand on les paie mal. C’est ce qui arrivait souvent ces jours derniers à ceux qui nous menaient, parce que mon feldjæger gagnait sur le prix des guides dont je lui avais remis le montant d’avance à Pétersbourg avec celui des chevaux pour toute la route. Dans le cours du voyage, m’étant aperçu de cette supercherie, je suppléais de ma poche aux guides du malheureux postillon privé d’une partie du salaire que, d’après les habitudes des voyageurs ordinaires, il avait le droit d’espérer de moi, et le fripon de feldjæger, s’étant aperçu à son tour de ma générosité (c’est ainsi qu’il appelait ma justice), s’en plaignit effrontément, en me disant qu’il ne pouvait plus répondre de moi en voyage si je continuais de le contrarier dans le légitime exercice de son autorité.

Au surplus, faut-il s’étonner de voir les hommes du commun dénués de sentiments délicats dans un pays où les grands regardent les plus simples règles de la probité comme des lois bonnes pour régir les bourgeois, mais qui ne peuvent atteindre des hommes de leur rang ? Ne croyez pas que j’exagère : je vous dis ce que je vois ; un orgueil aristocratique, dégénéré et directement contraire au véritable honneur, règne