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Le fardeau de la célébrité

pas sans de nombreux tracas. Jamais nous n’avons été moins tranquilles qu’en ce moment. Il y a des jours où nous n’avons pas le temps de souffler. Et dire que nous avons rêvé vivre en sauvages loin des êtres humains.


22 janvier 1904.

Mon cher ami, je voulais vous écrire depuis bien longtemps ; excusez-moi si je ne l’ai pas fait. Cela tient à la vie stupide que je mène en ce moment. Vous avez vu cet engouement subit pour le radium. Cela nous a valu tous les avantages d’un moment de popularité. Nous avons été poursuivis par des journalistes et des photographes de tous les pays du monde : ils ont été jusqu’à reproduire la conversation de ma fille avec sa bonne et à décrire le chat blanc et noir qui est chez nous, puis nous avons eu des demandes d’argent en grand nombre, enfin des collectionneurs d’autographes, des snobs, des gens du monde et même quelquefois des gens de science, sont venus nous voir dans le magnifique local de la rue Lhomond que vous connaissez. Avec tout cela plus un instant de tranquillité au laboratoire et une volumineuse correspondance à expédier tous les soirs. À ce régime, je sens l’abrutissement m’envahir. Tout ce bruit n’aura peut-être pas été inutile cependant pour me faire avoir une chaire et un laboratoire. À vrai dire, il faut créer une chaire, et je n’aurai pas tout d’abord le laboratoire ; j’aurais préféré l’inverse, mais Liard veut profiter du mouvement présent pour faire créer la chaire nouvelle qui sera ensuite acquise pour l’université. Ils créent une chaire sans programme, ce sera quelque chose comme un cours au Collège de France, et je crois que je serai obligé de changer de sujet chaque année ce qui me donnera beaucoup de mal.