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PERSONNALITÉ ET CARACTÈRE

questions demandent une solution générale, mais ne comportent plus aujourd’hui de solutions locales, et que lorsqu’on s’engage dans une voie qui n’a pas d’issue, on peut faire beaucoup de mal. Je crois encore que la justice n’est pas de ce monde, et que le système le plus fort, ou plutôt le plus économique sera celui qui prévaudra. Un homme est exténué par le travail et vit quand même misérable ; c’est là une chose révoltante, mais ce n’est pas pour cela qu’elle cessera ; elle disparaîtra probablement parce que l’homme est une sorte de machine, et qu’il y a avantage au point de vue économique à faire fonctionner une machine quelconque dans son régime normal, sans la forcer ».

Il appliquait à sa vie intérieure le même besoin de clarté et de compréhension qu’à l’examen de problèmes généraux. Un grand besoin de loyauté envers lui-même et envers les autres le faisait souffrir des compromis imposés par l’existence, bien qu’il les réduisît au minimum.

« Nous sommes tous esclaves de nos affections, esclaves des préjugés de ceux que nous aimons ; nous devons aussi gagner notre vie, et par cela devenir un rouage de machine. Le plus pénible, ce sont les concessions qu’il faut faire aux préjugés de la société qui nous entoure ; on en fait plus ou moins selon qu’on se sent plus faible ou plus fort. Si l’on n’en fait pas assez, on est écrasé. Si l’on en fait trop, on est vil et l’on prend le dégoût de soi-même. Me voilà loin des principes que j’avais il y a dix ans. Je croyais à cette époque qu’il fallait être excessif en tout, et ne faire aucune concession au milieu